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Research

Investigation d´un cas de fièvre de la vallée du Rift par l´approche « une seule santé », Ziguinchor, Sénégal, Février 2018

Investigation d´un cas de fièvre de la vallée du Rift par l´approche « une seule santé », Ziguinchor, Sénégal, Février 2018

Investigation of a case of Rift Valley fever through the "One Health" approach, Ziguinchor, Senegal, February 2018

Mbouna Ndiaye1,&, Assane Gueye Fall2, Daye Ka3, Adji Marème Gaye4, Boly Diop1, El Hadji Mamadou Ndiaye1

 

1Ministère de la Santé, Dakar, Sénégal, 2Institut Sénégalais de Recherches Agricoles, Laboratoire National de l´Elevage et de Recherches Vétérinaires, Dakar, Sénégal, 3Service des Maladies Infectieuses et Tropicales, Centre Hospitalier Universitaire de Fann, Dakar, Sénégal, 4Direction des Services Vétérinaires, Ministère de l´Elevage et des Productions Animales, Dakar, Sénégal

 

 

&Auteur correspondant
Mbouna Ndiaye, Ministère de la Santé, Dakar, Sénégal

 

 

Résumé

Introduction: pour la première fois un cas humain de fièvre de la vallée du Rift (FVR) survient à Ziguinchor. Nous avons mené l´investigation pour décrire l´épidémie et étudier les facteurs favorisants.

 

Méthodes: nous avons réalisé une enquête transversale du 12 au 18 février 2018. La population d´étude était constituée des habitants des communes à risque de FVR dans la région de Ziguinchor. Nous avons défini un cas suspect comme toute personne présentant soit une fièvre, soit un syndrome hémorragique ou méningoencéphalite associée à un contact probable avec des animaux malades. La confirmation était assurée par la biologie. Nous avons adopté une approche « une seule santé» et effectué des interviews. Nous avons calculé des paramètres (médiane, proportion…).

 

Résultats: au total 433/2318, soit 18% des patients répondaient à la définition de cas suspects. La médiane était de 32 ans, l´intervalle interquartile de 29-44 ans et le sex-ratio de 0,7. Un cas confirmé de FVR était identifié et il est décédé suite à des hémorragies. Les facteurs favorisant la FVR étaient : eaux stagnantes au domicile du cas, non utilisation de moustiquaires imprégnées. Sur 150 sérums de petits ruminants récoltés, aucun n´etait positif aux immunoglobulines M anti-FVR. Parmi les 1158 moustiques collectés, les vecteurs potentiels de FVR représentaient 96,46% des captures.

 

Conclusion: la FVR a été détectée chez un patient qui ne dormait pas sous moustiquaire imprégnée dans un environnement marqué par la présence de candidats vecteurs. Les mesures prises (lutte anti vectorielle, sensibilisation, formation) ont permis le contrôle de l´épidémie.


Introduction: the first human case of Rift Valley fever (RVF) has occurred in Ziguinchor. We conducted an investigation to describe this epidemic and to investigate factors contributing to its outbreak. Methods: we conducted a cross-sectional survey from February 12 to February 18, 2018. The study population consisted of the inhabitants by communes at risk of developing RVF in the Ziguinchor region. We diagnosed a case based on symptoms including fever and haemorrhagic syndrome or meningoencephalitis associated with possible contact with sick animals. Laboratory tests confirmed the diagnosis. We adopted the "one Health" approach and carried out interviews. We calculated different parameters (median, proportions…). Results: in total 433/2318, (18%) patients met the definition of suspect cases. The median was 32 years, the interquartile range was 29-44 years, and the sex-ratio was 0.7. A confirmed case of RVF was identified and died due to bleeding. Factors favoring RVF were: stagnant water inside the home, no use of long-lasting insecticidal mosquito nets. Out of 150 sera collected from small ruminants, none was positive for anti-RVF M immunoglobulins. Among the 1158 mosquitoes collected, possible vectors of RVF accounted for 96.46% of catches. Conclusion: RVF was detected in a patient who did not sleep under impregnated mosquito nets in an environment characterized by the presence of candidate vectors. The actions carried out (vector control, awareness raising, training) enabled the control of the epidemic.

Key words: Investigation, Rift Valley fever, Ziguinchors

 

 

Introduction    Down

La fièvre de la vallée de Rift (FVR) est une zoonose virale considérée comme un problème de santé publique majeur ayant un impact socio-économique très important (5 à 100% d´avortements et environ 20% de décès chez les troupeaux infectés) dans les régions où elle sévit [1-3]. Ces vingt dernières années, plusieurs épidémies se sont déclarées en Afrique et même en dehors du continent pour la première fois en 2000. En 2006 - 2007 une nouvelle vague épidémique a touché l´Afrique de l´Est (Kenya, Somalie et Tanzanie) à l´origine de 200 morts [1,4]. En 2007 et 2008, la FVR a touché le Soudan (698 cas dont 22 morts), l´archipel des Comores (7 cas, aucun cas sévère), Madagascar (418 cas dont 17 morts), et l´Afrique du Sud (172 cas confirmés dont 15 morts) en mai 2010. En 2016 au Niger, l´OMS a rapporté 266 cas humains de FVR dont 32 morts, soit un taux de létalité de 12,03% [2,5]. Au Sénégal, depuis 1987, date à laquelle est survenue la première épidémie de la FVR dans la vallée du fleuve Sénégal, la situation épidémiologique reste préoccupante avec des cycles épizootiques de la maladie ponctués de périodes inter-épizootiques pouvant durer plusieurs années. En 2013, des flambées de FVR ont été observées à Mbour et à Kédougou avec 11 cas confirmés sur 535 suspects (2,05%) [6].

 

A l´état des connaissances actuelles, l´infection chez l´homme résulte le plus souvent, d´un contact avec du sang ou d´autres fluides ou tissus organiques ou lors de l´abattage, la plumée et la découpe d´animaux infectés ou encore, par ingestion de lait ou de viande. Des infections humaines ont également été observées à la suite de piqûres de moustiques, principalement les vecteurs du genre Aedes, il n´existe aucune transmission interhumaine du virus de la FVR [1,2,7,8]. Pour la première fois, un cas humain de FVR survient dans la région de Ziguinchor. Pourtant cette partie du Sénégal était jusque-là épargnée par la maladie. L´approche « une seule santé » qui prône la synergie d´effort de plusieurs disciplines travaillant pour optimiser la santé des personnes, des animaux et de l´environnement n´est pas à tous les coups mise en œuvre dans des situations pareilles. Dans une démarche collaborative, une équipe d´investigation conjointe de la santé humaine et animale a mené en février 2018 une enquête pour mesurer l´ampleur et la gravité du problème et étudier les facteurs favorisant de l´épidémie afin de mettre en œuvre des mesures de prévention.

 

 

Méthodes Up    Down

Cade d´étude : nous avons réalisé l´étude dans la région de Ziguinchor qui se situe au Sud-Ouest du Sénégal et est limitée à l´Est par la Région de Sédhiou, à l´Ouest par l´Océan Atlantique, au Nord par la République de Gambie et au Sud par la République de Guinée-Bissau. Elle est divisée en 3 départements: Ziguinchor, Oussouye et Bignona et s´étend sur une superficie de 7 332 km², soit 4% du territoire national. La population de la région de Ziguinchor est estimée à 641 254 habitants en 2018. Cette position, qui en fait une région frontalière à deux pays, lui confère un potentiel géostratégique énorme, mais aussi une vulnérabilité vis-à-vis de la fièvre de la vallée du Rift, car étant un carrefour commercial de bétail et un point de départ et d´arrivée de flux migratoire important de population vers l´intérieur du pays et la sous-région.

 

En raison de la fertilité des sols et de la pluviométrie abondante, l´activité agropastorale constitue le principal moteur de l´économie de la région. La promotion de l´élevage familial favorise un contact étroit entre les animaux et les populations humaines, augmentant ainsi le risque de transmission de maladies zoonotiques. Dans le cadre de la prévention des maladies transmissibles et conformément aux recommandations du Ministère de la Santé, une campagne de distribution de masse de moustiquaires est organisée tous les 3 ans dans la région, ce qui a permis d´atteindre une disponibilité de la moustiquaire imprégnée dans les ménages de 98,6% et une utilisation de 95% [9]. L´évaluation menée en 2016 par le Ministère de l´élevage pour identifier les communes à risque de fièvre de la vallée du Rift (FVR), a montré que la probabilité de survenue de la maladie était élevée dans 3 communes de la région: Oukout Madiop, Tenghory et Ziguinchor [10].

 

Type et période d´étude: nous avons conduit une enquête transversale du 12 au 18 février 2018.

 

Population d´étude: la population d´étude était constituée des habitants de 3 communes de la région de Ziguinchor: Oukout Madiop, Tenghory et Ziguinchor et des petits ruminants de ces localités.

 

Définition de cas: a été considéré comme un cas humain suspect de FVR toute personne présentant les critères ainsi énumérés. Il s´agit de: Critères spatio-temporels : être un résident des communes de Oukout Madiop, Tenghory et Ziguinchor entre le 1er décembre 2017 et le 8 Janvier 2018; Critères cliniques: avoir les antécédents et les symptômes suivants: un contact direct avec un animal malade ou mort ou à ses produits et/ou une résidence ou un récent voyage (au cours de la semaine précédente) dans une région où l´activité du virus de la FVR est suspectée/confirmée; une fièvre (température axillaire >37,5 °C ou rectale >38,0 °C) qui dure plus de 48 heures, qui ne répond pas aux traitements antibiotique ou antipaludéen; et/ou l´apparition brutale d´au moins un des signes suivants: épuisement, maux de dos, douleurs musculaires, céphalées (souvent violentes), sensibilité à la lumière, nausées/vomissements, diarrhée et/ou douleurs abdominales, teint pâle, signes d´insuffisance rénale, syndrome hémorragique ou une méningoencéphalite.

 

Un cas humain confirmé était défini comme tout patient chez qui, après dépistage clinique, le test d´enzyme-linked immunosorbent assay (ELISA) /Immunoglobulines (Ig) M anti-FVR ou les tests de Reverse Transcriptase Polymérase Chain Réaction (RT-PCR) ou l´isolement viral était positif. Un cas animal suspect était défini comme tout petit ruminant présentant un état fébrile ou un antécédent clinique d´avortement. Un cas animal confirmé était un suspect qui, après identification des IgM anti-FVR par le test ELISA, revenait positif à la RT-PCR.

 

Echantillonnage: tous les cas humains répondant à la définition de cas suspects et vus par l´équipe d´investigation ont été inclus dans l´étude. Sachant que la population de petits ruminants de la région de Ziguinchor est estimée à 343 403 têtes et que la prévalence de la maladie est de 9,94% au Sénégal [11], pour un intervalle de confiance de 95%, on obtient la taille d´échantillon suivante N= 135 + 10% (impossibilité ou perte du prélèvement), soit 150 individus à prélever (50 petits ruminants dans chaque commune).

 

Techniques de collecte: nous avons réalisé l´enquête selon l´approche « une seule santé » avec la participation de cliniciens, de vétérinaires, d´entomologistes, d´hygiénistes et d´environnementalistes. Ainsi, nous avons effectué une revue documentaire (registres des structures sanitaires) et des entretiens. Nous avons réalisé des prélèvements de sang chez les humains pour la confirmation biologique de la FVR au niveau de l´Institut Pasteur de Dakar (Laboratoire de référence de l´OMS) et chez les petits ruminants au Laboratoire National de l´Elevage et de Recherches Vétérinaires (LNERV). Nous avons procédé à des prélèvements de moustiques pour identifier les vecteurs potentiels de la FVR dans la zone. Les prélèvements des insectes ont été analysés au niveau du LNERV.

 

Outils de collecte: nous avons collecté les données à l´aide de questionnaires structurés (fiche d´investigation extraite du guide technique pour la Surveillance Intégrée de la Maladie et la Riposte, fiche d´enquête des services vétérinaires).

 

Données collectées: nous avons collecté les caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, profession, structure sanitaire de provenance, résidence, .) et les facteurs d´exposition : consommation de viande, de lait cru et de ses dérivés provenant d´un animal malade, manipulation d´un animal malade, contact avec animaux malades, contact avec carcasses d'animaux, contact avec des produits d'avortement, proximité de la résidence avec les mares ou rivières, proximité de résidence avec des animaux morts non enfouis, utilisation de moustiquaires

 

Procédure de collecte

Chez les humains: nous avons dépouillé les registres de consultation des structures sanitaires pour ensuite rechercher les cas dans la communauté.

 

Chez les animaux: étant donné que le cas humain confirmé de FVR avait séjourné au niveau de Ziguinchor Commune, nous avons identifié la maison où il a séjourné et avons établi un rayon de 300 mètres autour de la maison afin d´effectuer des prélèvements sanguins. Tous les petits ruminants âgés de plus de six mois se trouvant dans la maison du cas et celles contiguës au domicile du cas étaient sélectionnés jusqu'à atteindre le nombre de petits ruminants requis. A Tenghory et à Oukout Madiop, le choix des propriétaires d´élevage a été fait sur la base d´un tirage aléatoire simple. Une fois dans les maisons, tous les petits ruminants âgés de plus de six mois étaient prélevés. Lorsque le quota fixé par commune n´était pas atteint pour une raison quelconque (refus, ), des choix complémentaires étaient effectués dans les autres communes objet de cette investigation.

 

Ainsi, avec le consentement des éleveurs/propriétaires de petits ruminants, un prélèvement de sang est effectué à partir de la veine jugulaire dans un tube sec avec gel de 8 ml et dans un tube de 5 ml avec anticoagulant au cas où l´animal est dans un état fébrile ou a eu un antécédent clinique récent pouvant être lié à la FVR (avortement). Le sérum est ensuite collecté stérilement dans un tube nunc de 2 ml après centrifugation puis conservé à +4 °C jusqu´au laboratoire où il sera conservé à -20 °C jusqu´à son analyse. Le sang avec anticoagulant, conservé à +4 °C, sera utilisé pour l´amplification du génome viral par RT-PCR en cas de résultat sérologique positif aux immunoglobulines de classe M (IgM). Parallèlement, une fiche d´investigation est renseignée auprès des éleveurs lorsque des cas d´avortements récents sont déclarés.

 

En ce qui concerne la collecte des moustiques: nous avons répertorié des sites favorables à l´habitat des moustiques (présence d´un étang, de flaques d´eau, de dépôts d´ordures sauvages) et nous y avons posé des pièges lumineux de type CDC potentialisés avec du CO2. Les pièges étaient placés à hauteur d´homme à environ 1,5 à 2 m du sol à proximité d´un point d´eau naturel ou artificiel (gites de production des moustiques) ou d´un enclos/troupeau de petits ruminants (sources de nourriture), mis en marche à partir de 18 h et relevés à partir 6 h le lendemain.

 

Traitement des données: nous avons saisi les données avec Excel et analysé avec Epi info. Nous avons recherché les données manquantes, aberrantes et avons eu recours aux fiches d´enquêtes pour d´éventuelles corrections. Nous avons calculé: nombre de cas, proportion, létalité, moyenne, médiane (chez les humains), prévalence de la FVR (chez les petits ruminants) et proportion de vecteurs potentiels de la transmission du virus (chez les moustiques). Nous avons comparé les proportions avec le test du chi-deux et le seuil de significativité est fixé à p inferieur à 0,05. Considérations éthiques : l´investigation était commanditée et autorisée par les autorités gouvernementales (les deux ministères : santé humaine et animale) et enregistrée au Ministère de la Santé et de l´Action Sociale sous le numéro 02487 MSAS/DGS/DP du 10 février 2018. Le consentement libre et éclairé des personnes interviewées était requis.

 

 

Résultats Up    Down

Enquête de cas humains de FVR: durant la période de l´enquête, 2318 personnes ont été consultés. Au total 433 soit 18% des patients répondaient à la définition de cas suspects pour la FVR. L´âge médian était de 32 ans et l´intervalle interquartile était de 29-44 ans. Le sex-ratio homme/femme était de 0,7. Les patients suspects provenaient des communes de Ziguinchor (153/433, soit 35%), d´Oukout Madiop (34%), de Tenghory (30%). Un cas de FVR était confirmé et ce même patient est décédé, soit une létalité parmi les cas suspects de 0,2% (1/433). Le patient était âgé de 52 ans de nationalité coréenne, commerçant, travaillant dans le secteur halieutique et ayant effectué plusieurs déplacements dans 3 pays frontaliers au cours de sa maladie (Sénégal, Guinée Bissau, Gambie). Le début de la symptomatologie remontait au 10/12/2017 marqué par les signes suivants: fièvre, arthralgie, céphalées, toux. Devant l´aggravation de la maladie avec des signes neurologiques (agitation, troubles de la conscience) et hémorragiques et altération de la fonction rénale, il a été évacué depuis la Gambie pour paludisme grave vers le service des maladies infectieuses de Fann (SMIT, Dakar). Les prélèvements de sang du patient ont révélé la présence d´anticorps de type IgM pour la fièvre de la Vallée du Rift et une virémie qui est négative. La PCR pour les autres arboviroses était négative. Le patient a presenté: thrombopénie (28000/mm3), un taux de Prothrombine bas (30%), CRP élevée (>200 mg/L, créatininémie élevée (48/mg/L).

 

Le patient a quitté Ziguinchor (Sénégal) le 8/12/2017 pour joindre la Guinée Bissau accompagné de son frère et d´un chauffeur. Le 10/12/2017 à 1h, ils consomment de la viande de porc grillé (sans manipulation de viande fraiche). Le même jour vers 14h, un syndrome pseudo grippal apparaît chez les 3 voyageurs qui tentent une automédication (paracetamol, vitamine C). Leur état s´améliore sauf pour le patient en question. Le 12/12/2017 ils retournent à Ziguinchor puis rejoignent la Gambie le 13/12/2017. Sans amélioration, il sera hospitalisé le 20/12/2017 dans une clinique en Gambie puis évacué à Dakar le 25/12/2017 où il meurt le 31/12/2017. Par ailleurs, le frère et le chauffeur sont testés négatifs à la FVR. Au niveau du domicile du patient à Ziguinchor, des eaux usées jaillissaient des fosses septiques à l´entrée de la maison et se rependaient sur la chaussée. Selon l´entourage, le patient ainsi que les membres de sa famille ne dormaient pas sous moustiquaires imprégnées d´insecticides.

 

Enquête véterinaire: un total de 150 sérums d´ovins (90 animaux: 20 males et 70 femelles) et de caprins (60 animaux: 17 males et 43 femelles) a été récolté dont 58 à Ziguinchor Commune (tous ovins), 46 à Oukout Madiop (tous caprins) et 46 à Tenghory (14 caprins et 32 ovins). Aucun prélèvement n´a été testé positif aux IgM anti-FVR, ainsi le virus ne circulait pas chez les animaux échantillonnés au moment de cette investigation.

 

Enquête entomologique: Aucun site favorable aux vecteurs n´a été identifié à Oukout Madiop (assèchement des points d´eau douce). La pose de pièges lumineux a permis la capture de moustiques à Ziguinchor Commune et à Tenghory. Un total de 1158 moustiques a été capturé: 74 males, 54 femelles gorgées et 1030 femelles non gorgées appartenant à 5 genres (Aedes, Anopheles, Culex, Mansonia et Uranotaenia, répartis entre au moins 16 espèces). Les vecteurs de la transmission du virus de la FVR (Aedes aegypti, Culex tritaeniorhynchus, Cx. quinquefasciatus, Cx. antennatus et Mansonia africana) ont représenté 96,46% des captures. L´abondance des moustiques a varié entre les 2 localités (Ziguinchor Commune et Tenghory), cependant cette différence observée n´était pas statistiquement significative (p= 0,082).

 

 

Discussion Up    Down

Au cours de l´étude, un cas de FVR a été confirmé. Le patient ne dormaient pas sous moustiquaires imprégnées. L´enquête a aussi révélé la présence de candidats vecteurs de la FVR.

Enquête de cas humain de FVR: l´apparition de foyer de FVR au sud du Sénégal, comme ce fut le cas dans notre enquête, est relativement récente. La maladie était jusque-là localisée dans les régions nord, en particulier dans la vallée du fleuve Sénégal. C´est en 2013 que l´on a constaté un déplacement des foyers vers les régions du Sud mais également vers les régions densément peuplées comme Dakar et Thiès et au niveau de la faune avec l´atteinte des Gazelles dorcas dans la réserve de Gueumbeul à Saint-Louis [6]. La transhumance ainsi que les mouvements commerciaux de troupeaux qui s´effectuent entre le nord et le sud favorisent l´apparition de cas humain de FVR. Dans la plupart des études, la diffusion du virus chez l´homme a été reliée à l´exportation licite ou non d´animaux réceptifs et infectés [11-13].

 

Au Sénégal, la saison pluvieuse s´étend de juin à septembre et l´analyse de la situation pluviométrique de 2017 fait ressortir, selon les services météorologiques: « une situation normale à excédentaire par rapport à la moyenne de la pluviométrie entre 1981 et 2010, sur une bonne partie du pays, excepté les localités situées dans le département de Podor » [14]. En Afrique de l´Est, certains auteurs ont pu constater que les années durant lesquelles la pluviométrie était supérieure à la normale apparaissaient des épizooties et des épidémies de FVR en raison d´une surabondance de moustiques vecteurs, dont les gîtes de développement larvaire se multiplient sous l´effet des inondations [15-17]. En considérant l´incubation de la maladie de 2 à 8 jours, la contamination du patient depuis Ziguinchor (Sénégal), point de départ de son déplacement, est possible. Les signes de début de la FVR qui ressemblent à s´y méprendre à toute pathologie tropicale de type syndrome pseudo-grippal ou « dengue-like » n´ont pas permis le diagnostic du patient en Guinée-Bissau et en Gambie. Chez l´homme, les formes asymptomatiques (50%) ou pseudo-grippales (fièvre, myalgie, céphalée et arthralgie) sont les plus fréquentes, l´évolution vers les formes graves (1%) étant rares [18-20]. Chez le patient confirmé dans notre étude, l´association avec le paludisme peut aussi retarder le diagnostic de fièvre de la vallée du Rift.

 

Au Kenya [21], la dernière épidémie connue de juin 2018 a enregistré une létalité de 23 pour 100 cas suspects contre 0,2% (1/433) dans notre étude. Bien que la létalité globale de la maladie soit faible (1 à 3% admis dans la littérature), des formes plus graves (hépatite, encéphalite, rétinite, fièvre hémorragique) peuvent conduire au décès des personnes atteintes ou à des séquelles importantes. La mortalité a été plus fréquemment associée aux patients présentant une forme hémorragique, des troubles nerveux et/ou un ictère [18,22,23]. Cette situation explique le décès du patient confirmé biologiquement dans notre enquête. La fatigue générée par les déplacements incessants d´un pays à un autre ainsi que la comorbidité palustre et les phénomènes immunologiques pourraient précipiter la survenue des complications.

 

Enquête vétérinaire: dans notre étude, aucun prélèvement de sang réalisé sur des animaux n´est positif aux IgM anti-FVR, cependant des foyers animaux ont été rapportés en 2014 [1]. D´après les études antérieures, la transmission humaine est le plus souvent précédée de la phase épizootique de la maladie caractérisée par une forte mortalité chez les très jeunes animaux sans vrais signes annonciateurs et des avortements massifs à tel point que les anglo-saxons ont surnommé ces vagues d´avortements par le terme abortion storm qui surviennent à tous les stades de la gestation [15,23]. Dans la majorité des cas, la maladie atteint secondairement l´homme et résulte d´un contact direct ou indirect avec du sang, des organes ou du lait cru ou de la viande d´animaux contaminés. Le virus pénètre chez l'homme par inoculation (blessure avec un couteau souillé), par inhalation (contamination de laboratoire) ou par ingestion d´aliments d´origine animale [2,24]. C´est ce qui explique que les éleveurs, vétérinaires ou auxiliaires d´élevage, le personnel des abattoirs et les bouchers soient des populations particulièrement à risque [6,15,25]. Toutefois, le cas identifié dans notre enquête n´a pas exercé une profession exposée au risque de FVR. Au regard du cycle évolutif du virus de la fièvre de la vallée du Rift, il existe probablement des foyers animaux de FVR soit au Sénégal, en Gambie ou en Guinée-Bissau.

 

Enquête entomologique: au vu des résultats, le risque de transmission du virus de la FVR par les moustiques est bien réel même si les vecteurs les plus importants (Cx. poicilipes et Ae. vexans arabiensis) n´ont pas été capturés ce qui ne traduit guère leur absence dans la zone surtout à cette période de l´année (saison sèche). La présence des vecteurs (Aedes aegypti, Culex tritaeniorhynchus, Cx. quinquefasciatus, Cx. antennatus et Mansonia africana) révèle le risque de circulation du virus car les piqûres par des moustiques infestés constituent le deuxième mode de contamination de l'homme [2]. Les conditions environnementales propices au développement du vecteur (eaux stagnantes) et l´absence de mesure de protection (moustiquaire imprégnée d´insecticides) exposent le patient au risque de FVR. En raison de la multiplicité des vecteurs (moustiques du genre Aedes, Culex) de cette virose, de sa capacité à s´étendre au-delà de son foyer d´origine depuis plusieurs années et de l´accroissement de tous les facteurs, dont le réchauffement climatique est une composante, favorisant l´émergence de maladies exotiques, la FVR figure parmi les maladies infectieuses fortement susceptibles d´émerger là où elle est inconnue jusqu´alors [15,26]. C´est pourquoi la propagation (par les moustiques) est une éventualité qu´il faut envisager sans pour autant négliger la transmission non vectorielle (via des aérosols). En effet, la capacité d´expansion du virus, mais aussi sa pathogénie peuvent en faire une arme pour des activités criminelles.

 

 

Conclusion Up    Down

La FVR a été identifiée chez un patient non autochtone, ayant voyagé dans 3 pays frontaliers de la sous-région ouest-africaine et vivant dans un contexte favorable à l´éclosion de maladies transmissibles: présence d´eaux stagnantes dans son environnement immédiat, exposition aux piqures de moustiques (non utilisation de moustiquaires imprégnés), présence de candidats vecteurs de la maladie. L´application des mesures de prévention (lutte anti vectorielle: aspersion intra-domiciliaire d'insecticides et distribution de moustiquaires imprégnés) sous-tendue par des sessions d´éducation sanitaire à l´endroit des populations et de formation pour les prestataires de santé a permis de contrôler la maladie. La vaccination animale devra être mise en œuvre avant le signalement d´une flambée et couplée au renforcement de la surveillance épidémiologique. La mobilité accrue des populations et des troupeaux, l´impact socio-économique de la maladie et la possibilité d´utilisation du virus comme agent de bioterrorisme imposent une gestion transfrontalière de ce problème de santé.

Etat des connaissances sur le sujet

  • Fièvre de la Vallée du Rift (FVR) est une zoonose virale considérée comme un problème de santé publique majeur ayant un impact socio- économique très important;
  • Maladie transmise par un moustique, ingestion/contact avec du sang ou des organes d´animaux contaminés.

Contribution de notre étude à la connaissance

  • Notre étude rapporte pour la première fois une épidémie de fièvre à vallée de Rift à Ziguinchor et décrit les conditions ayant favorisé l´apparition de la FVR dans cette région;
  • Nous avons mené l´enquête selon l´approche « une seule santé » avec la participation d´une équipe multidisciplinaire: de cliniciens, de vétérinaires, d´entomologistes, d´hygiénistes et d´environnementalistes;
  • Nous avons décrit l´itinéraire du patient (voyageur, expatrié, non autochtone) dans 3 pays de la sous-région ouest-africaine (Sénégal, Guinée Bissau, Gambie) d´où l´intérêt d´une gestion transfrontalière des maladies transmissibles.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

MN a conçu le travail, collecté, analysé les données et rédigé l´article. AGF, DK et AMG ont participé à la conception de l´étude, à l´analyse des données et la rédaction de l´article. Les données ont été collectées sous la supervision des auteurs BD et EMN. BD et EMN ont assuré la coordination du travail de toute l'équipe. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Remerciements Up    Down

Nous adressons nos remerciements aux institutions qui nous ont soutenu dans la réalisation de ce travail: Ministère de la Santé, Ministère de l´élevage du Sénégal, autorités locales et administratives, FAO.

 

 

Références Up    Down

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